Khezr : du prophète au guide personnel vers la "Source de la vie"

FaKiR

Meþveret Bþk.
Figure énigmatique du Coran et de l’ensemble de la tradition musulmane, Khizr, appelé Khezr en persan et Khidhr en arabe, a été au centre de nombreuses légendes et récits mystiques et a parfois été assimilé au prophète Elie, à Saint Georges ou encore à Alexandre le Grand.

Son nom est dérivé de la racine "Khdhr" (خضر) faisant référence à la couleur verte [1], étant donné qu’il est souvent associé à la nature et que, selon certains récits, la terre devenait verdoyante à son passage.


Khezr aurait bu à la "Source de la vie", symbolisant les hautes connaissances spirituelles acquises non pas au travers du raisonnement, mais grâce à un lien direct avec Dieu. Il est à ce titre considéré comme le détenteur d’un savoir mystique situé au-delà de tous les cadres référentiels de l’intellect humain.


Parfois surnommé le prophète caché, l’homme vert, le roi de l’Hyberborea, ou encore le serviteur de Moïse, il compte parmi les quelques 124 000 prophètes (anbiyâ) évoqués dans la tradition musulmane, et est également l’un des quatre prophètes "éternels" ou "vivants" reconnus par l’Islam. [2] Son statut n’en demeure pas moins discuté, certains le considérant comme un saint, d’autres comme un prophète ou encore un "guide spirituel atemporel" dont l’esprit insufflerait les vérités divines aux âmes des croyants.


Cité dans le Coran où il incarne l’initiateur de Moïse, il occupe une place centrale dans de nombreux courants mystiques de l’Islam et, de par sa ressemblance avec certaines figures des traditions judaïque et chrétienne peut, en soulignant l’existence de motifs communs eux-mêmes révélateurs d’aspirations profondes partagées, constituer le support d’une réflexion plus globale dans le domaine des religions comparées.
 

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Biographie

Il apparaît difficile, voire impossible, de retracer avec précision la généalogie "terrestre" de Khezr : selon certains récits, il serait un descendant de la cinquième génération de Noé, ou aurait vécu à la même époque que Moïse.

Selon d’autres versions, il ne se serait jamais incarné dans l’histoire et ne serait qu’un archétype spirituel et donc immortel au regard des réalités de ce monde. Il résiderait au sein du monde imaginal, "point de rencontre des océans célestes et terrestres" où, selon les versions, dans une île verte ou sur un tapis vert au cœur de l’océan…



Khezr aurait réussi à atteindre la "Source de la Vie" et se serait abreuvé de l’"Eau de l’Immortalité". Il échapperait donc à la vieillesse et à la mort et est à ce titre souvent décrit comme un jeune homme à la beauté inaltérable, d’où son titre de "prophète éternel" évoqué plus haut.


Ce serait également suite à cela que son manteau se serait coloré de vert. Le vert symbolise également la fraîcheur de la connaissance, le cycle perpétuel de la vie, ainsi que la "renaissance" du pèlerin à lui-même à l’issue de sa rencontre avec Khezr.

Plus généralement, le vert est, en islam, la couleur spirituelle par excellence symbolisant la sagesse divine que reçut également le prophète Mohammad. Elle revêt également des significations mystiques diverses. [3]
 

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Khezr et Elie s’émerveillant à la vue d’un poisson ayant repris vie après avoir été immergé dans la Source de la vie, dynastie timouride, XVe siècle

Le personnage de Khezr [4] intervient dans la sourate 18 intitulée "La caverne" (al-Kahf) [5], où il apparaît comme l’initiateur de Moïse et le détenteur d’une science divine dépassant les lois de l’entendement humain. Le récit commence avec la déclaration de Moïse à Josué, alors qu’ils sont en mer :

"Je n’arrêterai pas avant d’avoir atteint le confluent des deux mers, dussé-je marcher de longues années" [6]. Selon les commentateurs, ce "confluent" fait ici référence aux hautes connaissances divines, et plus précisément à la rencontre de deux types de connaissance : l’une d’ordre exotérique et l’autre ayant une dimension plus ésotérique et mystique. La mer en soi symbolise également l’immensité illimitée de la science divine, alors que son "confluent", point de rencontre des deux types de savoir, marque l’apparition de la connaissance au sens vrai et l’accès à la compréhension de la sagesse divine.


En outre, peu avant la rencontre de Moïse avec Khezr, le Coran fait mention d’un poisson, symbole de la connaissance et de la sagesse, que Josué laisse malencontreusement s’échapper.


La disparition du poisson-sagesse qui devait être leur repas signale la perte de ce qui aurait permis à Moïse la compréhension subtile des événements qu’il va vivre avec Khezr : "lorsque tous deux eurent atteint le confluent, ils oublièrent leur poisson qui prit alors librement son chemin dans la mer". [7] Le poisson, qui était mort, reprit vie lorsque Josué l’oublia, ce qui suggère également la nécessité de mourir à soi-même [8] pour atteindre la vraie connaissance, ainsi que la nécessité de s’y immerger de tout son être pour en saisir le sens profond. Le poisson incarne donc ici la voie par excellence de l’accès à la connaissance. L’étape suivante est celle de la rencontre avec Khezr, qui accomplit une série d’actions semblant contredire la Loi divine révélée, et qui choquent profondément Moïse (voir le récit ci-contre).


Selon certaines versions [9], cette rencontre aurait eu lieu après que Moïse ait affirmé être l’un des hommes les plus savants en matière de religion.


Dieu aurait donc provoqué la rencontre avec Khezr pour lui montrer que les "sciences religieuses" ne se limitent pas à leur aspect purement légaliste. Khezr est donc l’initiateur de Moïse qui lui apprend, au-delà de l’apparence, à saisir le sens profond de certains événements de l’existence, au-delà de leur apparence néfaste ou illogique. Il suggère également l’existence d’une sagesse divine insondable transcendant la loi révélée (shari’a) et la religion littérale.


Ces versets ont occupé l’esprit de nombreux commentateurs du Coran, de mystiques, de philosophes et de théologiens qui se sont efforcés d’en saisir le sens profond : qui fut réellement Khezr ? Un personnage historique ou un symbole ? Est-il un prophète, un messager, ou un "walî" (ami de Dieu) ?
 

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Meþveret Bþk.
[BILGI]
Khezr et Moïse dans le Coran


Rappelle-toi quand Moïse dit à son valet [Josué] : "Je n’arrêterai pas avant d’avoir atteint le confluent des deux mers, dussé-je marcher de longues années". Puis, lorsque tous deux eurent atteint le confluent, ils oublièrent leur poisson qui prit alors librement son chemin dans la mer. Lorsque tous deux eurent dépassé cet endroit, il dit son valet :

"Apporte-nous notre déjeuner : nous avons rencontré de la fatigue dans notre présent voyage".


Le valet lui dit : "Quand nous avons pris refuge près du rocher, vois-tu, j’ai oublié le poisson - le Diable seul m’a fait oublier de te le rappeler - et il a curieusement pris son chemin dans la mer".

Moïse dit : "Voilà ce que nous cherchions". Puis, ils retournèrent sur leurs pas, suivant leurs traces.

Ils trouvèrent l’un de Nos serviteurs à qui Nous avions donné une grâce, de Notre part, et à qui Nous avions enseigné une science émanant de Nous. Moïse lui dit : "Puis-je suivre, à la condition que tu m’apprennes de ce qu’on t’a appris concernant une bonne direction ?".


L’autre dit : "Vraiment, tu ne pourras jamais être patient avec moi. Comment endurerais-tu sur des choses que tu n’embrasses pas par ta connaissance ?".


Moïse lui dit : "Si Dieu le veut, tu me trouveras patient ; et je ne désobéirai à aucun de tes ordres".
"Si tu me suis, dit l’autre, ne m’interroge sur rien tant que je ne t’en aurai pas fait mention".


Alors les deux partirent. Et après qu’ils furent montés sur un bateau, l’homme y fit une brèche. Moïse lui dit : "Est-ce pour noyer ses occupants que tu l’as ébréché ? Tu as commis, certes, une chose monstrueuse ! ".


L’autre répondit : "N’ai-je pas dit que tu ne pourrais pas garder patience en ma compagnie ?".


"Ne t’en prend pas à moi, dit Moïse, pour un oubli de ma part ; et ne m’impose pas de grande difficulté dans mon affaire".
Puis ils partirent tous deux ; et quand ils eurent rencontré un enfant, l’homme le tua. Alors Moïse lui dit : "As-tu tué un être innocent, qui n’a tué personne ? Tu as commis certes, une chose affreuse ! "


L’autre lui dit : "Ne t’ai-je pas dit que tu ne pourrais pas garder patience en ma compagnie ?"


"Si, après cela, je t’interroge sur quoi que ce soit, dit Moïse, alors ne m’accompagne plus. Tu seras alors excusé de te séparer de moi".


Ils partirent donc tous deux ; et quand ils furent arrivés à un village habité, ils demandèrent à manger à ses habitants ; mais ceux-ci refusèrent de leur donner l’hospitalité. Ensuite, ils y trouvèrent un mur sur le point de s’écrouler. L’homme le redressa. Alors Moïse lui dit : "Si tu voulais, tu aurais bien pu réclamer pour cela un salaire".


"Ceci marque la séparation entre toi et moi, dit l’homme, Je vais t’apprendre l’interprétation de ce que tu n’as pu supporter avec patience.


Pour ce qui est du bateau, il appartenait à des pauvres gens qui travaillaient en mer. Je voulais donc le rendre défectueux, car il y avait derrière eux un roi qui saisissait de force tout bateau.


Quant au garçon, ses père et mère étaient des croyants ; nous avons
craint qu’il ne leur imposât la rébellion et la mécréance.


Nous avons donc voulu que leur Seigneur leur accordât en échange un autre plus pur et plus affectueux.

Et quant au mur, il appartenait à deux garçons orphelins de la ville, et il y avait dessous un trésor à eux ; et leur père était un homme vertueux.

Ton Seigneur a donc voulu que tous deux atteignent leur maturité et qu’ils extraient, eux-mêmes leur trésor, par une miséricorde de ton Seigneur. Je ne l’ai d’ailleurs pas fait de mon propre chef. Voilà l’interprétation de ce que tu n’as pas pu endurer avec patience".
Coran, Sourate al-Kahf (La caverne), versets 60-82
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